Jesus nous envoie ce texte pour nous introduire aux sujets qu'il va traiter pendant le quatre prochaines séances, qui se tiendront
Lundi 13 mai 2019 en salle AS1_23
Mardi 14 mai 2019 en salle AS1_08
Mardi 28 mai 2019 en salle AS1_24
Mercredi 29 mai 2019 en salle A07_51
Tout d’abord, je tiens à remercier mon cher ami et collègue —ou, comme on dit en espagnol, mon cher collègue et néanmoins ami— Emanuele Conte, ainsi que Pierre Thévenin, de m’avoir invité cette année à l’EHESS, pour faire cours avec vous. C’est un endroit que j’aime d’une façon très spéciale, puisque je l’avais fréquenté comme auditeur et même comme participant dans les années 90 du siècle dernier, et après j’ai eu l’occasion d’y enseigner ou conférencier avec Annick Louis et Bernard Harcourt. À chaque fois que je viens, je ressens un mélange de trépidation, de joie, et de responsabilité. Cette fois-ci est encore plus spéciale, car c’est la première fois que je viens en tant que directeur d’études invité —mon rêve depuis une vingtaine d’années.
J’ai suivi avec attention et admiration le blog du séminaire. J’ai lu attentivement les débats que vous avez mené en ligne. La profondeur des discussions théoriques, l’attention aux concepts et surtout l’attention à la productivité des grands concepts avec lesquels le latin juridique a colonisé la pensée et les pratiques de la science juridique moderne et contemporaine, tout ça, et encore plus, remplit les pages virtuelles de votre blogspot.
Pour cela, je vous demande pardon d’avance. Je vais parcourir des chemins un peu plus humbles, dans la mesure où mes intérêts se situent dans le monde du vernaculaire. Quand je dis “le vernaculaire”, je ne veux pas dire, seulement, le monde de la langue vulgaire. Le vernaculaire —un concept qui ne figure pas dans les pages du dictionnaire philosophique des intraduisibles de Barbara Cassin— nous renvoie, au delà de la langue, au domaine du domestique: là dedans, tout y a été provincialisé, et tout continue à y être provincialisé aujourd’hui. Evidemment, je veux dire par là, en utilisant la notion de Dipesh Chakrabarty de provincialization, que dans l’économie d’études du champ “droit et culture” du Moyen Âge, il y a toute une constellation de traditions juridiques qui, bien que crées et répandues avec des visions universelles, ont été fréquemment lues et interprétées comme marginales, subalternes, locales, et avec une influence limitée sur les grands courants de ce qu’on appelle très souvent le “droit savant.” Or, le droit savant s’exprime en latin, alors que les autres droits provincialisés s’expriment soit dans des langues que l’Europe se resiste à considérer comme langues légitimes, ou bien dans (quelques-unes) des langues vernaculaires, des langues secondes par rapport au latin. Si vous me le permettez, je vais dire que l’agent de provincialization des traditions juridiques et des traditions de pensée juridique est ce qu’on appelle le ius commune, théorisé, depuis longtemps, comme le “droit commun” à l’Europe. Le ius commune est un grand agent d’exclusion —tout ce qui ne fait pas partie de ce droit commun à toute l’Europe n’est qu’un accident, peut être même un mauvais accident.
Il me semble que j’ai déjà dit quelques propos qui sont polémiques par eux mêmes, et que, bien sûr, on pourrait discuter et debattre. Mais tout-ce que je veux dire c’est que quand on parle de droit savant on laisse de côté trop de choses qui, peut-être, vaudraient la peine d’être lues d’une façon plus attentive, même si, par là, nous provincialisons momentanément le droit savant. Cela nous permettra aussi d’entrevoir la productivité des activités vernaculaires au sein d’une pensée juridique variée, multiforme, et multilingue.
Dans cette mesure, je voudrais me borner à faire quelque chose d’assez simple pendant ces quatre séances. Je vais proposer quatre idées.
La première (perplexité) est une façon de regarder la production du droit. Je pars d’une notion que Maïmonide articule dans le Guide des égarés (perplexité, ou ha’ira en arabe, la langue dans laquelle Maïmonide a écrit son traité) et qu’il définit comme ce qu’on ressent devant la loi lorsqu’on se rend compte qu’on ne peut pas ne pas philosopher, ce qui est perçu comme un problème de conscience. Nous allons lire un peu la généalogie de cette notion, pour explorer aussi comment elle devient productrice, et non seulement interpretative, dans la tradition ibérique des Siete Partidas —dont je vais introduire un peu l’histoire textuelle et éditoriale.
La deuxième est la notion d’amitié, une façon d’étendre la portée du juridique. Nous verrons comment, pour quoi, et par quels moyens, légiférer le concept d’amitié a été important, au moment précis de la création des Partidas. Nous étudierons aussi dans quelle mesure cette conception, cette régulation, un peu inattendue, de l’amitié, peut nous fournir aujourd’hui quelques idées pour comprendre la façon dont les conceptions d’amitié sont réutilisées dans les réseaux sociaux.
Troisièmement, je voudrais explorer une affinité entre la science du droit et la science de l’âme, ou plutôt les processus d’appropriation de la science de l’âme par la discipline juridique, à partir de la lecture de quelques chapitres des Siete Partidas, qui se fondent sur une loi qui définit le sujet juridique comme l’âme sensitive du royaume. Nous nous demanderons si cette definition et les lois qui l’accompagnent peuvent nous aider à comprendre quelques stratégies de construction du sujet juridique.
Finalement, je voudrais proposer la notion d’extraction comme technique de séparation entre le droit et le non-droit, c’est à dire entre formes normatives ou régulatrices (même à caractère moral ou politique) et formes qui ne se présentent pas comme telles. Nous allons explorer ces techniques d’extraction à partir d’un chapitre d’histoire du livre et de la lecture, et en lisant des textes un peu marginaux et drôles, comme ceux de Poe et Flann O’Brien (entre autres).
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